LA SANTÉ PLANÉTAIRE DÉCRIT L’ÉTAT DE SANTÉ DE LA CIVILISATION HUMAINE ET DE L’ENVIRONNEMENT DONT ELLE DÉPEND.
Fondation Rockefeller et The Lancet
Changement climatique : une menace pour la santé
Le changement climatique en bref
• Au cours des 10 000 dernières années, la température moyenne de la Terre n’a jamais fluctué de plus de 2°C. Ce climat stable a été la condition préalable au développement de la civilisation humaine.
• Depuis 1850, la température mondiale moyenne a augmenté de 1,1°C en moyenne, avec une tendance à la hausse exponentielle. Avec l’Accord de Paris sur le climat en 2015, il a été décidé par de nombreux pays de limiter le réchauffement bien en dessous de +2°C, voire +1,5°C.
• Mais la tendance va dans un sens différent : d’après le dernier rapport du GIEC, une hausse de température de plus de 3°C est attendue d »ici 2100. Les scénarios les plus pessimistes prévoient une augmentation de la température de 6 à 7 degrés de plus si les émissions de CO2 continuent d’augmenter au rythme actuel, ce qui rendrait les conditions de vie sur Terre impossibles pour les êtres humains.
• En parallèle du réchauffement climatique, des points de bascule menacent de s’enclencher, tels que le dégel du pergélisol, la fonte de la calotte glaciaire du Groenland ou les incendies des forêts tropicales. Si ces points de bascule s’enclenchent, des boucles de rétroaction peuvent se mettre en place dont les conséquences sur l’évolution des températures et la hausse du niveau de la mer sont imprévisibles et potentiellement dramatiques.
• Ce n’est que si les émissions mondiales de CO2 sont réduites de moitié d’ici 2030 et nulles d’ici 2050 que les chances de rester dans l’objectif d’1,5 degré de réchauffement sont d’environ 50 %.
• Actuellement, les émissions continuent d’augmenter. Une catastrophe climatique ne peut être ralentie que par des actions décisives. La « petite fenêtre d’opportunité » se rétrécit de plus en plus, chaque dixième de degré compte !
• Mais le changement climatique et les émissions de CO2 ne sont pas le seul enjeu. Pour préserver le vivant, il faut respecter les neuf limites planétaires qui ont été établies par la communauté scientifique, et dont six sont déjà dépassées. La préservation de la biodiversité est une nécessité absolue : nous sommes une espèce vivante parmi des vivants.
Menaces du changement climatique sur la santé
• L’Homme ne vit pas isolé sur la Terre, mais dépend et est connecté aux nombreux écosystèmes de l’eau, de l’air et terrestres.
• Le dérèglement climatique provoque une élévation du niveau de la mer avec des inondations dans les régions côtières et des phénomènes météorologiques extrêmes tels que des tempêtes, de fortes pluies, des vagues de chaleur, des sécheresses et des incendies. Les conséquences sont la destruction des infrastructures, des pénuries de nourriture et d’eau, une instabilité politique et sociale, des conflits liés aux ressources, des migrations et des expulsions. Tous ces facteurs ont un impact très important sur la santé et le bien-être humains. Toujours selon le GIEC, environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans un contexte de forte vulnérabilité au changement climatique. La Commission Lancet 2015 affirme que le changement climatique menace les gains de santé publique mondiale de ses dernières décennies. Le changement climatique a déjà un impact sur la santé de la population en Suisse, notamment par l’augmentation de la mortalité et de la morbidité dues à la chaleur et à la pollution de l’air. Une récente étude estime à 380 le nombre de décès dus au réchauffement climatique en Suisse en 2023.
• Les journées de canicule augmentent partout dans le monde, y compris en Suisse : de 5 jours/année de canicule entre 2000 et 2010, il y en a eu 15 en 2018 selon cette étude. L’impact de la chaleur sur la santé est bien connu. L’hyperthermie augmente le risque de maladies cardiovasculaires, d’atteintes rénales, de coups de chaleur, et joue sur la santé mentale avec une augmentation des comportements agressifs et une diminution de la qualité du sommeil. Les personnes les plus vulnérables sont les enfants, les personnes âgées, les personnes travaillant en extérieur et les personnes vivant dans des logements mal isolés et donc précaires. Ainsi, la canicule de 2003 a tué près de 1000 personnes en Suisse. Selon le Lancet Countdown, 30 000 décès supplémentaires liés à la chaleur sont déjà attendus dans l’UE d’ici 2030.
• La perturbation du climat entraine des dégradations du système agricole et de la sécurité alimentaire. Grâce à l’amélioration des conditions de vie, aux développements de l’agriculture, et un meilleur accès aux soins primaires, la malnutrition avait régressé ces dernières décennies. Mais depuis 2014, la malnutrition est à nouveau en augmentation. L’OMS prévoit qu’il pourrait y avoir 77 000 à 131 000 décès supplémentaires chez les moins de 5 ans en 2030 si aucune stratégie d’atténuation n’est mise en place.
• La pollution de l’air et le changement climatique ont une cause commune : la combustion des énergies fossiles. La pollution de l’air raccourcit l’espérance de vie d’un Européen de deux ans en moyenne. C’est le plus grand risque environnemental pour la santé – devant même le tabac! – et est un contributeur important aux maladies cardiovasculaires, respiratoires, pulmonaires et à l’asthme.
• Le réchauffement climatique entraîne une augmentation en nombre et en sévérité des allergies et un allongement des temps d’exposition aux pollens.
• Les maladies transmises par les moustiques comme le paludisme, la dengue ou le chikungunya sont plus à risque à cause du changement climatique. Les territoires sur lesquels vivent les moustiques responsables de maladies s’étendent à cause de l’augmentation de la chaleur. Les tiques profitent également de la hausse des températures, et avec elles, la propagation de virus et bactéries, responsables par exemple de la maladie de Lyme et de l’encéphalite à tiques.
•La santé mentale est également affectée par le changement climatique. Les événements climatiques extrêmes et migrations forcées entrainent des stress post-traumatiques et des dépressions. Le fait d’être confronté-e à une destruction ou modification de son environnement est à l’origine de solastalgie ou d’éco-anxiété, phénomène qui touche 75% des 16-25 ans dans le monde selon cette étude.
• La crise climatique touche particulièrement les plus vulnérables (personnes âgées et handicapées, personnes avec des conditions préexistantes, enfants et femmes enceintes). Elle a surtout des conséquences pour les pays qui ont le moins contribué à la crise climatique. La justice climatique doit donc être la priorité absolue.
• Les conséquences économiques et sanitaires du changement climatique seront plusieurs fois supérieures au coût de la protection du climat.
Une opportunité pour notre santé !
Face aux dérèglements climatiques et autres dégradations environnementales, de nombreuses stratégies peuvent être mises en place afin de définir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Parmi ces mesures, beaucoup ont des bienfaits directs et immédiats sur la santé : ce sont les co-bénéfices santé et environnement, dont voici quelques exemples. Faire converger des objectifs environnementaux et ceux de santé permet de favoriser des synergies et de potentialiser les actions communes, qu’elles soient individuelles ou collectives.
La mobilité active
La mobilité motorisée est une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde : les transports sont responsables de 14% des émissions directes en Suisse, dont près des trois-quarts dues aux voitures privées. Parallèlement, la mobilité motorisée augmente la pollution de l’air, le bruit, empêche l’aménagement sain des villes et contribue à la sédentarité.
Les mobilités actives sont des modes de déplacement qui utilisent l’énergie humaine comme source d’énergie principale, c’est notamment le cas de la marche ou du vélo. Elles permettent d’augmenter l’activité physique dans la vie quotidienne, tout en diminuant la pollution engendrée par les transports. La mobilité active est associée à une diminution des maladies cardiovasculaires, des cancers, de la mortalité toute cause confondue, et a des bénéfices psychiques et de bien-être. Cependant, pour promouvoir le vélo ou la marche, l’espace public doit être aménagé afin de permettre une pratique sécurisée et attrayante. Les professionnel-les de santé doivent encourager ces pratiques à titre individuel, et peuvent assister les interventions structurelles des collectivités publiques.
Alimentation saine et durable
L’agriculture et l’élevage sont responsables de 20 à 30 % des émissions globales de gaz à effet de serre. De plus, ils contribuent à la déforestation, la fragmentation des habitats naturels et la perte de biodiversité. L’utilisation des engrais et des pesticides contribue au déclin de la biodiversité la pollution des sols et de l’eau. Les tendances mondiales montrent une augmentation de la consommation des produits d’origine animale, qui sont plus consommateurs en ressources, et émettent plus de CO2. Parallèlement, on observe un double fardeau à l’échelle mondiale : à la fois une augmentation de la malnutrition, en particulier dans certains pays en voie de développement, et une augmentation du nombre de personnes en surpoids et en obésité, liée à une alimentation trop riche en calories, sucre, viande et graisses d’origine animale. Avec l’augmentation de la population, l’urgence est l’application d’une transition vers des régimes alimentaires qui soient à la fois bons pour la santé, peu consommateurs pour la planète, et capables de nourrir l’entièreté de l’humanité. La commission EAT-Lancet s’est penchée sur ces enjeux et propose un régime qui se compose principalement de fruits et de légumes, de céréales complètes, de légumineuses, de noix, d’huile insaturées. Le poisson et la volaille sont envisagés en petites quantités et la viande rouge, le sucre, les produits laitiers et les graisses saturées doivent être exceptionnels. Les apports nutritionnels de ce régime couvrent les besoins en nutriments et micro-nutriments, tout en prenant en compte les impacts environnementaux des choix alimentaires, ce qui est souvent peu le cas dans les recommandations nationales, comme celles de la Société Suisse de Nutrition.
En plus des choix des aliments, il faut privilégier les produits locaux, de saison et peu transformés. Les professionnel-les de santé doivent accompagner leurs patient-es dans ces choix, et les informer des risques et bénéfices de l’alimentation.
Au-delà du régime individuel, il est important de promouvoir ces choix alimentaires dans la restauration collective et diminuer le gaspillage alimentaire.
Contact avec la nature
Partout dans le monde, on observe une perte massive de biodiversité : on estime que 25 % des espèces d’animaux et de végétaux sont menacées d’extinction. Cela concerne toutes les espèces dans tous les habitats. Cette érosion massive de la biodiversité compromet la capacité de la nature à fournir des services écosystémiques dont dépendent de nombreuses espèces, notamment les humains, pour vivre dans de bonnes conditions. Par ailleurs, on observe une perte de la sensibilité des humains au reste du vivant avec des populations, davantage urbaines, qui sont de plus en plus déconnectés de leurs habitats naturels et des espèces qui y vivent. Pour y remédier, passer du temps dans la nature, être exposé aux espaces verts, aux espaces bleus et à la biodiversité est bénéfique pour la santé : on observe une diminution du risque cardiovasculaire, des hormones du stress et de la mortalité globale. Le contact des enfants avec les environnements naturels a également un effet positif sur leur développement et leur immunité. Les jardins communautaires ou d’autres formes d’agricultures urbaines peuvent contribuer à aller vers cette tendance en faisant mieux connaître les sols, la dépendance aux éléments météorologiques et les rythmes naturels des plantes. Dans cette optique, le concept de « prescription verte », défini comme la prescription d’une activité impliquant de passer du temps à l’extérieur dans le but de bénéficier à la santé et au bien-être, doit être diffusé au sein des structures de santé.
Pour promouvoir ces co-bénéfices santé et environnement, la campagne « 12 mois – 12 actions » a été lancée par l’Université de Genève et la Société Genevoise de Pédiatrie, avec la participation de plusieurs membres de Health for Future. L’objectif est d’encourager les médecins de famille à saisir l’opportunité chaque mois d’aborder ces sujets avec les patient-es afin de les sensibiliser, les motiver et les entraîner dans le changement global nécessaire pour enrayer la détérioration de notre planète et ainsi de notre propre santé.
Texte inspiré de Santé et environnement -, Vers une nouvelle approche globale, Partie 3, écrit par Nicolas Senn, Marie Gaille, María del Río Carral, Julia Gonzalez Holguera, 2022, disponible en pdf sur : https://www.revmed.ch/content/download/868017/6912948/1?fileName=Sante%20et%20environnement_RMSeditions-9782880495022.pdf